De nos jours, causer avec passion des années new-beat (1987-1990) revient souvent à s'offrir auprès des jeunes, des vieux et des béotiens une véritable image de clown croulant qui n'aurait pas digéré ses ecstas de 1988 (les meilleurs, pourtant). Aussi étonnant cela puisse paraître, ce qui pour certains reste la meilleure et plus marrante chose musicale sortie du pays ainsi qu'un symbole fort du temps où Anvers anversait, est toujours très mal connue et caricaturée, plus de 20 ans après les faits. Certes, Plastic Bertrand, The Confettis et VDB ont tous bien percuté les esprits. Ceux là font aujourd'hui partie des meubles au même titre que Sandra Kim, den Lange Jojo et Rocco Granata, bien incrustés dans le vieux stock de variétoche à danser en famille sur les pavés mouillés. Quand on en vient à évoquer des choses plus sombres et radicales, par exemple Miss Nicky Traxx, Lords of Acid ou 16 Bits, là, par contre, il y a nettement plus de chances que vos amis qui n'y étaient pas se mettent soudainement tous à se regarder pousser les ongles. Parce que la new-beat, pour beaucoup, c'est un truc bien con, de la musique d'escrocs. Au Royaume-Uni, des journalistes comme Frank Broughton, Matthew Collin ou même Simon Reynolds tiennent le genre pour musicalement déterminant sur l'évolution de la musique électronique mais ici, cela fait surtout rire ou soupirer, la plupart des gens gardant principalement en mémoire la ridicule mais hilarante émission de Christophe Dechavanne sur l'acid-music, les gays à houpettes en shorts cyclistes ainsi que des 45-tours généralement très coincoin, alors passés sur Bel-RTL et VTM.
Il n'y pas à tortiller, la new-beat, c'était, très souvent, de l'escroquerie. Même dans ses meilleurs moments, c'est une musique assez peu finaude, vite produite, essentiellement pensée pour être manipulée par le deejay. C'était naïf, drogué, enthousiaste, et surtout pas très regardant ni sur la valeur artistique, ni sur la réglementation en matière de droits d'auteurs; quelques-uns des tubes étant essentiellement des compositions volées aux pionniers de la house-music de Chicago, qui ne touchaient évidemment pas le moindre franc belge en retour. Les disques n'étaient donc pas forcément bons mais c'était bien la première fois qu'une musique de danse destinée à un large public se refusait d'être facile, entraînante et joyeuse, pour se préférer sombre et menaçante, avec pour thèmes récurrents le sexe, y compris gay et S&M, la drogue, la guerre et souvent même la solitude et la déshumanisation. On l'aura compris, si la forme est aujourd'hui plutôt kitsch dans son ensemble, le fond et l'esprit restent assez remarquables, car rares.
Attendu en avant-première du Festival du Film de Gand ce vendredi 19 octobre, un documentaire annoncé depuis 6 ans (!), The Sound of Belgium, entend apprendre ou rappeler tout cela; s'adressant à la fois aux nostalgiques, aux curieux, à ceux qui savent à peine de quoi il en retourne ainsi qu'aux anthropologues de comptoir et de dancefloors. Loin de s'embourber dans les clichés du documentaire à la belge, évitant avec bonheur le côté Strip-Tease et son ironie obligatoire, le réalisateur Jozef Devillé attaque son sujet avec un sérieux de pape, suivant un angle très influencé par la façon de faire britannique. C'est-à-dire qu'on contextualise fort bien les choses, au risque d'un peu trop dorer le blason de certains intervenants et de frôler la vantardise pure et simple. L'information y est toutefois relativement irréprochable même si on passe sous silence les légendes over-the-top, les casseroles et les polémiques, pour leur préférer une vision chronologique bien documentée, musicalement enthousiaste et sinon très similaire à celle défendue par Bill Brewster et Frank Broughton au chapitre belge de leur formidable bibleLast Night a DJ Saved My Life (la version originale, pas la traduction tronquée d'au moins 200 pages!!!)
Instructif pour les uns, nostalgique pour les autres, surtout à une époque où on imagine de plus en plus mal danser ensemble Flamands, Bruxellois et Wallons sur une musique ignorée des médias, je pense toutefois que le message principal à retenir de The Sound of Belgium est bien différent de la larmiche d'ex-jeune, du waow ébahi de ceux qui étaient à peine nés ou même du rire moqueur des indécrottables relativistes. Okay, il y a 25 ans, quand l'industrialisation des loisirs était encore dans une phase précoce et naïve, il s'est vécu ici des choses qui ont marqué une génération, des choses qui sortaient vraiment de l'ordinaire et dégageaient une énergie dingue. Cela a pris cette ampleur phénoménale parce que cela proposait quelque-chose de plutôt typique, qui faisait partie d'un ensemble tout en gardant de grandes spécificités (comme disent plusieurs intervenants étrangers dans le film: "une musique plus lourde, plus lente, plus psychédélique et hypnotique"). Bref, on parle bien d'un esprit davantage que d'un genre musical plus ou moins respectable et plus ou moins mort. De nos jours, la musique de clubs est mieux produite, plus efficace, plus séduisante. Le clubbing est bien davantage propre et pro. Standardisé. Mais ce n'est plus le même esprit. C'est autre chose, très bien, mais éventuellement moins excitant, qui décline de New-York à Shangaï les mêmes recettes. Et c'est précisément pourquoi cette période belge de fin eighties, celle qui suit (le popcorn) et celle qui précède (la techno) rend toujours tellement gaga tous ceux qui y étaient. Ce n'est pas la nostalgie de la magie noire. C'est la défense du bon esprit. Il se trouve toujours en 2012. Mais il faut davantage creuser qu'en 1987. Davantage convaincre, aussi. Merci au film de participer à cette croisade qui touche moins le goût des gens que leurs façons de vivre et penser.